Varlin (1900-1977)

[wirvwar]
pièce quadriphonique réalisée à Fribourg (CH) autour de l'idée de paysage, avec Gilles Aubry
production Festival Belluard Bollwerk International, 2010

Première le 3 juillet 2010, Belluard Bollwerk International, Fribourg
Diffusion, quadri, 23.10.11, @CCP Moutier, avec Les Péruviens Volants; 26.10.13, @Pataphysisches Institut Basel PIB, 25.10.2013
S. Montavon: textes, enregistrements, montages
G. Aubry: mix & master
Avec les voix de Maria, Jean, Gilbert, Céline, François, Anne-Iris, Maurizio, Alexis, Juan et ses potes, de Spiritalp, des gars des Grand-Places, d'anonymes, merci à elles
Citations e.a. de René Bersier, Holzfäller im Winterwald (1965), Beethoven, Symphonie pastorale (1808), Jacques Vogt, L'Orage (dès 1834), Jacques Thévoz dans Horizons (1971, réal. TSR, Armand Caviezel), Jean-Paul Goumaz, Le crieur public d'Estavayer-le-Lac (1967)

Quadraphonic audio piece with Gilles Aubry, 67 min.
Commissioned by the Belluard Bollwerk International Festival, Fribourg
Premiered on july 3rd 2010
The piece addresses the idea of landscape from an auditory perspective. Aubry & Montavon have collected various audio sources on location to recreate a complex and subjective soundscape which underlines the discursive and dynamic character of landscape production.
Among the voices of inhabitants and experts describing specific locations in the City of Fribourg, one can hear throughout the piece several field recordings and excerpts of descriptive music compositions related to landscape categories.
/
Klanglandschaften, Stimmen, Bewegungen und Geflüster – das ist der Stoff, aus dem die Geschichte und die Stimmung einer Stadt auch entstehen. Denn was ist eine Landschaft? Das Bild vor mir, oder diese Umgebung, die sich um mich entfaltet, die ich betrete, und die in mich bereits eingedrungen ist?
[wirvwar] ist eine Landvermessung von Freiburg mit dem Mikrophon im Anschlag. Aubry & Montavon veröffentlichen bereits vor der Aufführung in Freiburg das Rohmaterial auf www.wirvwar.blogspot.com. Diese für alle jederzeit anhörbare Seite dient als Archiv von klanglichen Skizzen und Fragmenten, die zur endgültigen Montage beigetragen haben. Die Frage nach der Landschaft ist hier an sich ein Paradox, gibt es doch nichts zu sehen, sondern zu hören. Man lauscht bei [wirvwar] Stimmen, die Landschaften beschreiben, und Klangaufnahmen, die an Orten durchgeführt worden sind, die man eher besucht, um ein Panorama zu sehen, z.B. auf der Kirchturmplattform oder auf einer Aussichtsterrasse in der pittoresken Altstadt. Als Gesprächspartner wählten Aubry und Montavon Personen, die entweder es mit Urbanistik zu tun haben, also den öffentlichen Raum gestalten, der Stadtplaner, der Architekt, oder solche, die den öffentlichen Raum nutzen, Passanten, Demonstrierende, usw. Weiter interviewten sie Musiker, die Instrumente spielen, die in und für eine Landschaft gedacht sind, Alphornbläser, Glockenspieler, Trommler am Flussknick, sowie den Organisten aus dem Freiburger Münster. Für die dortige Orgel hat nämlich Johannes Vogt das im 19. Jhd weltberühmte Stück „L’orage“ (das Gewitter) komponiert, ein Stück, welches ein atmosphärisches Ereignis imitiert und sich einem Phänomen widmet, das bei der Konstruktion der Landschaft prominent mitgespielt hat.
Wenn ein Ausgewanderter dann zu Wort kommt, vergleicht er die Schweizer Landschaft mit der seiner Heimat Rwanda, darauf erzählt er von Landsleuten, denen er in Freiburg begegnet, und die nahe am Genozid beteiligt waren, so nahe nämlich, doch hat anscheinend weder der Schweizer Bürger noch die hiesige Immigrationspolitik den Sinn dafür. Glänzend grüne Hügel, aber unsichtbare Nächsten. Wenn fast alles gesehen worden ist, ist noch nicht alles so leicht gehört. Vom Panorama zur Doku-Fiktion zerstückelt sich ein Ort mit seinen Stimmen oder Geräuschen.

*
Presque tout le quotidien a été vu mais l'a-t-on assez écouté ?
ou tellement même ouï-vu ? rumori o voci en situation mouvements remous rumeurs c'est la pâte dont se constituent une atmosphère et l'histoire d'un lieu
étant donné Fribourg arpentages aux microphones on découpe monte spatialise les langues doivent faire une serpente à présent c'est fait on a fait le paysage, esquisses et archives

*
ouïr-voir
entre là
– [wirvwar]

Il y manque pour achever l'illusion une brise légère, des pavillons flottants, les bruits du clapotage des vagues, quelques commandements à l'aide du porte-voix. Il est vrai que l'on pourrait redouter alors, tant l'imitation serait parfaite, que les visiteurs, transformés en passagers, ne ressentissent l'effet du mal de mer
– La Nature (1889)

Y a-t-il un paysage socialiste ?
– [wirvwar]

Les chiens qui aboient dans le ciel
– François

Et puis les routes sont jolies
– Mme X

Quelques tableaux qui ont survécu
– Gilbert

... pluie, vent, grêle, cris lointains, chiens en détresse, prière du voyageur, désastre dans le chalet, piaulement d'enfants épouvantés, clochette de vaches perdues, fracas de la foudre, craquement des sapins, finale, dévastation des pommes de terre
– George Sand (1836)

C'est...
c'est faire partir...
assez
bonheur
– Maria

***
AUDIOBLOG

documents sonores autour de l'ouïr-voir, paysages quotidiens, légendes ou ce qu'on raconte et ce qu'il faut voir :: übers hören-sehen und die legende, den bildtext & das herumgesflüsterte
fribourg 2010, par stéphane montavon (textes, enregistrements, montages)

1. wirvwar
version stéréoréduite d'une pièce quadriphonique, actualisation 2020

2. wirvwar 2
Esquisse :: Skizze
08.06.10, prototype, avec les voix de Maria et Alexis, Jean, Juan et ses potes, merci à elles, à Spiritalp et aux sonneurs de cloches; paysages sonores : cors des alpes en cathédrale de fribourg, salle de traite à courcelon

3. Pano 2
Im herzen des bildes :: légende, Panorama de la ville de Thoune (1810, par Wocher), 15.05.10
description depuis la plateforme :: bildbeschreibung auf der platform

4. Abbau
destruction d'un immeuble jugé trop vieux :: zu alt für den bauboom

5. Conforama 1, dedans
6. Conforama 2, dehors
13.06.10, 17:00, aux Portes de Fribourg, on s'installe, choisit son nouveau poste, high-definition dedans, autoroute dehors :: bei den Portes de Fribourg, man bereitet den Sommer vor, man sucht sich den neuen Fernseher, HD drinnen, Autobahn draussen

7. D'une fenêtre
ruelle du boeuf
26.04.10, 18:00, du rythme de la fenêtre :: über den rhythmus vom fenster

8. Gare
la voix de son contremaître, 28.04.10, 14:30, ces dernières semaines, boucan supplémentaire au sortir de la gare, mais rien à voir que la partie supérieure d'une machine à carotter :: vor dem bahnhof wurde viel gehämmert, doch man sieht nichts ausser den oberen teil eines krans, warum?

9. Sur les grand-places
29.04.10, 13:15.
depuis les grand-places >, entre 1930 et 1960, par Johann Mülhauser

10. Histoire d'esprits
geistergeschichte, 19.05.10, 18:00
lancée de bus en gare, de rue en église :: tonwurf, vom Bus zum bahnof, von der Strasse zu einer Kirche

11. Eine perspektive
passé la manif :: nach der demo, cf. 13.

12. Polémique paysagère
portes de fribourg, 03.05.10, 15:00
promenade au coeur des transformations urbanistiques :: spaziergang durch die neue dubiose landschaft freiburgs. agy entre 1900 et 1915 >, par albert ramstein

13. 'ne andre
dévoilements d'un samedi après-midi, place python :: entschleierungen an einem samstagnachmittag 15:30, 24.04.10
descriptions in situ faites après le feu par deux protagonistes d'une manifestation & bruits de cuisine de l'établissement visé par eux :: nach einer demo beschreiben zwei streiter den scheinbar ruhigen platz, dessen geheimnis sie aufzudecken probierten. dann bekommt man die küchenstimmung des angeklagten lokals zu hören. par albert ramstein, entre 1896 et 1946 >

14. Tip-top friburgo
bord de la sarine, chemin de la motta, 21:00, 26.04.10
pique-nique latino surpris un lundi soir sur la rive, l'intru venant à évoquer - comme c'est téléphoné - les différences culturelles se trouve un rien moqué, à l'issue de la partie les fêtards, imitant les situations qu'ils ont observées, s'avèrent urschweizerisch :: zufällig stösst man am montag abend auf ein picknick am ufer, der ohrenzeuge erwähnt naiv den kulturellen unterschied, darauf wird er von den latinos parodiert, nach dem suff aber räumen letztere tüchtig alles auf, dabei berufen sie sich auf die mimesis, bünzli sein gelte doch als erster schritt der integration. sous l'à-pic > du sonnenberg, avant 1909

15. la cuisine de l'accusé
place python, 03.05.10, 19:00

16. C'est toi le mondial
villars-vert, 22.04.10, 19:00
passage en banlieue fribourgeoise, où on assure, en ville, le visiteur que "ça vit". clameurs mêlées des petits et des ados - rares pour cela - autour du terrain de foot, légendes dont l'intrigue ont leur lieu entre les blocs révélées dans la langue de quelques fillettes & raps de préau :: wenn man in der stadt fragt, wo in freiburg es eigentlich lebt, dann wird man nach villars-vert geschickt, dort mischen sich ums fussballfeld teenagers- und kinder-stimmen (was selten vorkommt), dort werden von mädchen skurrile gerüchte erzählt, und in einer nebligen ecke wird getextet. jumbo >, villars-vert, 1979, par charles vonlanthen.

17. Les bourbakis
(pas le panorama), cimetière, 03.05.10, 17:00

18. Abattoirs
annexe du MAHF, 03.05.10, 14:30

19. Les petites bêtes
annexe du MAHF, 03.05.10, 14:15
abattoirs désormais lapidaire du musée, tels qu'ils furent vécus par un jeune homme de la place qui y amenait des rosses :: schlachthof, der zum ausstellungsraum des historischen museums geworden ist, wie ihn ein junger mann erlebt hat, der damals alte tiere dorthin brachte. intérieurs >, entre 1941 et 1945, photo de jacques thévoz &, par johannes mülhauser, 1974 (?), Brand >

20. La manière de varlin
planche inférieure, 26.04.10, 11:48, et place du marché aux poissons, 03.05.10, 16:00
descriptions de l'usine à gaz et de son atmosphère, peinte par varlin > à rebours de la vision romantique de la ville :: beschreibung des verschwundenden gazwerks und dessen stimmung, das varlin trotz der üblichen romantischen haltung der künstler gegenüber freiburg gemalt hat. plongée > par jacques thévoz

///
3 paysages sonores, klanglandschaften, du haut de la rue des maçons, 12.05.10, 15:30
stmichel 1-3

carillon
d'un balcon pluvieux de la planche supérieure :: glockenspiel vom regnerischen balkon, 28.04.10, 12:00

///
cathédrale

avec François Seydoux, 21.05.10, 14:00

le café du sacristain :: im schiff der kathedrale: eine kaffeemaschine?, cathédrale saint-nicolas, 29.04.10, 11:54

la dévastation des pommes de terre :: verwüstete kartoffeln nach Jacques Vogts L'Orage, à l'orgue f. seydoux, 1987 (extrait)

Fiffera (un jeu italien)

Entre claviers et choeur

Sur l'orage (interview)

Sur la musique imitative (interview)

Description de l'orgue de choeur de la cathédrale St-Nicolas (interview)

Aria, de Rathgeber

Elevation

Praeludium, de Kotter

Fugue, de Pachelbel

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légendes panoramiques

à l'attention de l'infante n°1
panoramalehre auf dem turm n°1, sommet de st-nicolas, 29.04.10, 11:00

à l'attention de l'infante n°2
panoramalehre auf dem turm n°2

l'intervention céleste
ein himmelszeichen, sommet de st-nicolas, 29.04.10, 11:19

ce qu'il ne faut pas voir, ce qui nous attend
was wir nicht sehen, was uns erwartet, sommet de st-nicolas, 29.04.10, 11:30

air et descente
stadtluft und catabasis, du sommet de st-nicolas, 29.04.10, 11:45

///
autour du pot
herumschweifen, uni miséricorde, 29.04.10, 17:20, en visite à l'uni, voix : personnel de nettoyage :: ein besuch durch die uni mit dem putzpersonal

parking des alpes
03.05.10, 16:00

légendes
wirrwarr, 03.05.10, 17:00

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TU AIMES LE COR ?
- un mythe, 27.05.10, 10:15
de l'origine aux effets
des effets à la politique
dans la cathédrale, alors qu'on travaille à la rénovation de l'orgue Mooser

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des belles femmes, des hommes qui rament
schöne frauen, rudernde männer 22.05.10, 15:30, sur la pratique du paysage au club d'aviron, plage des neigles :: von der landschaftspraxis, ruderklub am strand des neigles

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foot en l'auge
24.04.10, 20:00
pont saint-jean
24.04.10, 06:49
dimanche (11:45)
d'un balcon de la planche supérieure
25.04.10
leur être-jeté-là
sous le pont de grandfey, 25.04.10, 18:00

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Archives
Le crieur public d'Estavayer
par JP Goumaz, 1967
Chronique locale
extrait d'un enregistrement de M. Guinard (2005)
Vulcain dit Roger la Feraille
1981, extrait sonore du film de Jacques Thévoz
Horizons
1971, extrait sonore du film de Armand Caviezel, Jacques Thévoz parle de Villarvolard
Holzfäller im Winterwald
les hommes de la forêt, 1965, extrait sonore du film de René Bersier, musique de Jürg Lenggenhage

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mirabilia oder wunderland zum hören

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légende, ce que l'on a lu voyant, programme iconique, et de là... rumeurs de la vue :: legende oder was am sichtbaren abzulesen ist, und zu sagen, also eikonoklatsch

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Zuerst stand ich, durch einen ungewohnten Hauch der Luft und durch
einen ganz freien Rundblick bewegt, einem Betäubten gleich.

Petrarca, 1353

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Il y manque pour achever l'illusion une brise légère, des pavillons flottants, les bruits du clapotage des vagues, quelques commandements à l'aide du porte-voix. Il est vrai que l'on pourrait redouter alors, tant l'imitation serait parfaite, que les visiteurs, transformés en passagers, ne ressentissent l'effet du mal de mer.

in: La Nature (15 juin 1889), sur le Panorama des la Compagnie Transatlantique

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Nous n'avons pas, il est vrai, l'avantage d'entendre ces honorables exclamations, car ici, tout est pour les yeux et rien pour oreilles : ce vaste horizon éclatant de lumière, ces montagnes bleues, la baie et la ville de Navarin, l'île de Sphactérie, et au milieu de tout cela cinq ou six flottes en bataille, qui doivent faire un horrible fracas, qu'heureusement nous sommes obligés de supposer et de nous figurer mentalement.

in: Le Journal des artistes, sur la Bataille navale de Navarin, panorama de Langlois.

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Kürzlich bin ich dem Phänomen des fernen Rauschens wiederbegegnet, als ich im windstillen Hochgebirgswald um eine Bergkante herumging. Plötzlich hat das Rauschen eines tief unten fliessenden, mir unsichtbaren Wildbachs den Raum erfüllt und damit den Taleinschnitt akustisch geöffnet. Der sonnige Luftraum des stillen Walds hatte ein berückendes visuelles Panorama geboten, er war aber klanglich nicht existent – bis auf einige lästige nahe Fliegen (sichtbar), einige ferne Flugzeuge (unsichtbar) oder das in unbestimmter Ferne (unsichtbar) sich talwärts bewegende Geschell einer Viehherde. Das Knistern von trockenem Gras und Baumnadeln unter meinen Schuhen war bereits Teil meines eigenen Gehens, das mich aus der Stille zu dem Rauschen aus der Tiefe der Schlucht führte. In meiner Bewegung ging das feststellende Hören in ein ordnendes Zuhören über.

Justin Winkler, Klang-, Licht- und Zeit-Räume, 1995

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Et cette ville de Fribourg! On peut bien venir de plus loin que Berne pour la voir, sans regretter le temps qu'on emploiera à ce trajet. Quelle situation pittoresque! quel singulier panorama! Une grande partie de la ville perchée sur les hauteurs de la presqu'île dont la Sarine arrose la base; une autre descendant sur les flancs du coteau escarpé, jusque dans la vallée, jusqu'au bord de la rivière; des remparts où jadis retentissaient les cris de guerre; des couvents consacrés par une pensée de piété et de miséricorde; ici, les œuvres des municipalités modernes, les grandes places et les larges rues; là, les vestiges d'un autre temps, les ruelles étroites et tortueuses, les carrefours obscurs, les escaliers par lesquels on descend du plateau de la ville haute aux derniers gradins de l'amphithéâtre de la ville basse; ici, les boutiques aux coquettes devantures, les larges habitations des riches, les façades blanches, les persiennes vertes; là, les vieilles maisons aux murs noirs, les fenêtres étroites garnies de petites vitres ternes, les toits à pignon; de côté et d'autre, des cours spacieuses et des jardins, de petites maisonnettes solitaires suspendues, comme des cellules d'ermites, au bord d'un ravin; d'autres abritées comme des cottages sous un dôme de sapins ou d'arbres fruitiers ; tous les contrastes de la vie industrieuse et de la vie rustique, toute une image en relief des divers âges d'une cité, de son état ancien et de ses modifications nouvelles.

Que de bonnes heures j'ai passées sur la terrasse de l'hôtel Zaehringen à contempler un de ces tableaux de Fribourg ! A côté de cette maison est le fameux pont en fil de fer, le plus grand et le plus hardi qui jusqu'à présent ait été construit en Europe. Par ses chaînes aériennes, il rejoint deux collines séparées l'une de l'autre par un espace de neuf cents pieds de largeur, par un précipice de cent quatre-vingts pieds de profondeur. Quand je regarde cette audacieuse construction, il m'est agréable de penser que c'est un Français, M. Chaley, de Lyon, qui a eu le courage de l'entreprendre et le bonheur de l'achever si habilement, que pas un ouvrier n'y a péri.
La terrasse sur laquelle j'aime à m'asseoir s'élève sur un roc escarpée comme un balcon, au faite d'un mur perpendiculaire. De là, je vois en face de moi une colline couronnée de tours en ruine, qui ont eu leurs jours de combats et leurs jours de gloire au temps où Veit-Weber, le vaillant poëte, le Tyrtée des batailles helvétiques, saluait ce boulevard de la confédération.
« Chantons Fribourg, ville de l'Uechtland, placée à la frontière des Alpes; elle deviendra la clef de la confédération.
« Allégresse! Fribourg est plein de braves, de braves, fermes comme des lions. Livre-t-on l'assaut quelque part, aussitôt on y voit courir à l'œuvre les fiers gars de Fribourg.
« Ah ! solides sont tes murailles et soutenues par de bonnes tours ; et tu ne laisses pus chômer ton or, lu construis de nouveaux bastions, de nouveaux remparts. Bourgogne ne te pourra nuire.
« Non, car si le duc vient, si le Bourguignon te bloque, tu feras jouer tes couleuvrines à travers ses épais bataillons. »

Près d'une de ces tours se déroule un autre pont aérien moins long que celui qui a été fait par M. Chaley, mais plus élevé et léger comme une balançoire. Le pied d'un enfant le fait osciller.

Entre les deux collines, rejointes l'une à l'autre par ses cordages en fil de fer, est le vert, l'agreste, le charmant petit vallon de Gotteron. Des paysans et des ouvriers l'habitent ; une route le traverse, un ruisseau y coule et y fait mouvoir les roues de divers établissements industriels. Dans la journée, ce petit vallon est très-animé par le travail. Le soir, on ne peut rien voir de plus calme. Les chevaux du laboureur sont rentrés à l'étable; l'ouvrier a fini sa journée; la scierie cesse de déchirer les troncs de sapins, et le marteau du forgeron reste immobile sur l'enclume. Au son de l'Angelus, la mère de famille réunit ses enfants, qui jouent et bourdonnent de côté et d'autre comme de jeunes hannetons, et, leur ayant fait faire leur prière, les conduit à leur lit. Les vieillards restent encore assis sur le seuil de leur porte, causant amicalement avec leurs voisins. Les jeunes gens se promènent en fumant leurs pipes, et il en est plus d'un qui voudrait bien prolonger indéfiniment la soirée près de la belle jeune fille à laquelle il murmure de tendres paroles. Peu à peu cependant chacun rentre au logis, les portes se ferment, les lumières s'éteignent successivement, toutes les maisons de la petite vallée s'endorment entre leurs collines, comme des nids d'oiseaux entre deux sillons. A quelques pas derrière moi, sur la terrasse d'où je regarde cette innocente scène champêtre, est la salle à manger, où les sommeliers s'empressent de servir des voyageurs qui viennent d'arriver parla diligence d'Yverdoii ou par le chemin de ter de Berne, et à mes pieds est cette petite colonie paisible d'agriculteurs et d'artisans, qui feront le voyage de la vie sans sortir de l'étroite enceinte où ils s'ont nés. Ceux-ci ne sont-ils pas les plus sages et les plus heureux?

Xavier Marmier, Voyage en Suisse, 1861

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Panoramas, Ernest Lorson, 1905 :

- depuis la Tour du Dürrenbühl >

- depuis le Schönberg >

- depuis les Charmettes >

- depuis l'Hôtel de Ville >

- depuis les hauteurs de la Poya >

- depuis le pont suspendu l'Auge >

- depuis l'ancien Hôtel Zaehringen >

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Voilà bien présente l'ambiguïté du panorama. Dès lors qu'il ne s'inscrit plus dans la logique classique qui appelle sa complétude chez le spectateur par un jeu de l'imaginaire, il se livre aux contraintes d'une totalisation qui vont jusqu'au bout d'un mélange des genres où toutes les perceptions doivent être comblées, d'ordre à la fois [...] visuel, auditif et, pourquoi pas ?, olfactif : dans le Maréorama d'Alési, l'air était embaumé par un filtre d'algues et de varech ; Segantini [...] se proposait d'installer diverses plantes alpestres de façon à recréer un parfait écosystème. [...]

Le 28 mars 1859, E. Chevreul énumère [...] une série de défauts dans le dispositif panoramique qui nuisent au leurre et contredisent ce que serait la vision du spectateur dans un paysage réel : la plateforme centrale et circulaire est toujours la même de toile en toile, et trop régulière pour ne pas lasser rapidement ; le ciel n'est perçu que par zones cylindriques, tandis que sur les lieux mêmes le spectateur apercevrait la voûte céleste. La plateforme [...] est répartie sur trois niveaux dégressifs, séparés par des balustrades (comme c'est d'ailleurs le cas dans la rotonde moderne construite à Thoune pour y accueillir le panorama de Wocher). En se plaçant sur le niveau inférieur, et en se retournant vers la partie la plus éloignée du panorama, située au-delà de la plateforme, des morceaux de la toile apparaissent découpés par les barres verticales de la rambarde et par son anneau d'appui [...]. Selon une perversion assez cocasse du dispositif, Chevreul finit par découvrir la possibilité d'une jouissance esthétique qui tient exclusivement à l'effet d'encadrement !

Bernard Comment, Le XIXe siècle des panoramas, Bourgois, 1993

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[...] et nous revoilà qui nous éloignons de nouveau à travers champs la main dans la main les bras se balançant la tête haute vers les sommets de plus en plus petits je ne vois plus le chien je ne nous vois plus la scène est débarrassée quelques bêtes les moutons qu'on dirait du granit qui affleure un cheval que je n'avais pas vu debout immobile échine courbée tête basse les bêtes savent bleu et blanc du ciel matin d'avril sous la boue c'est fini c'est fait ça s'éteint la scène reste vide quelques bêtes puis s'éteint plus de bleu je reste là là-bas à droite dans la boue la main s'ouvre et se referme ça aide qu'elle s'en aille je me rends compte que je souris encore ce n'est plus la peine depuis longtemps la langue ressort va dans la boue je reste comme ça plus soif la langue rentre dans la bouche se referme elle doit faire une ligne droite à présent c'est fait j'ai fait l'image.

Beckett, L'image, 1988

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Rumeurs

Des réseaux de promotion-contrôle, on glisse insensiblement aux réseaux de surveillance-désinformation. Autrefois, on ne conspirait jamais que contre un ordre établi. Aujourd'hui, conspirer en sa faveur est un nouveau métier en grand développement. Sous la domination spectaculaire, on conspire pour la maintenir, et pour assurer ce qu'elle seule pourra appeler sa bonne marche. Cette conspiration fait partie de son fonctionnement même.

On a déjà commencé à mettre en place quelques moyens d'une sorte de guerre civile préventive, adaptés à différentes projections de l'avenir calculé. […] On s'est mis aussi en situation de faire composer des fragments d'une critique sociale d'élevage […]. Dans certain cas, il s'agit de créer, sur des questions qui risqueraient de devenir brûlantes, une autre pseudo-opinion critique […] Le point de fuite de la perspective y est toujours anormalement absent. Ils ressemblent au fac-similé d'une arme célèbre, où manque seulement le percuteur. […] A cette sorte de fausse critique contre-journalistique, peut se joindre la pratique organisée de la rumeur, dont on sait qu'elle est originairement une sorte de rançon sauvage de l'information spectaculaire, puisque tout le monde ressent au moins vaguement un caractère trompeur dans celle-ci, et donc le peu de confiance qu'elle mérite. La rumeur a été à l'origine superstitieuse, naïve, auto-intoxiquée. Mais, plus récemment, la surveillance a commencé à mettre en place dans la population des gens susceptibles de lancer, au premier signal, les rumeurs qui pourront lui convenir.

Debord, Commentaires sur la Société du Spectacle, 1992, XXVIII

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Désir scopique et voix

[...] jamais supplice n'avait attiré plus de monde. - La voilà ! - La voilà ! Répétait-on de rang en rang.

Qu'elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline ! Quelle dignité ! Quelle résignation ! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l' enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux ; les commères lui montraient le poing, et les hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la grève. En montant à l'échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. De L'Argentière qui la fixait froidement ; elle en jeta un long cri d'horreur, et tomba faible entre les bras d'un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait : - A bas les parapluies, on ne voit pas ! Criait-on de toutes parts ; - A bas les parapluies ! Répétaient des voix de femmes ; - Soyez galants, messieurs, on ne voit pas ! Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.

Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur ; et un anglais, penché sur une fenêtre qu'il avait louée 500 fr, fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.

Pétrus Borel, Champavert : les contes immoraux, 1833

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Silence.

India Song revient de très loin. Lentement, le couple se descelle, reprend vie.

Montée du bruit derrière la musique : le bruit de Calcutta : rumeur forte, majeure. Autour : rumeurs diverses : cris réguliers des marchands. Chiens. Appels lointains.

Marguerite Duras, India Song, 1973.

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TROMPE-L'OREILLE

Mesdemoiselles, je ne vous trouve pas assez nues comme cela. Otez-moi ces jacquettes. Remplacez la toile par la gaze. Le public aime les formes de la femme. Laissons tonner les moralistes. Un peu d'indécence, morbleu. Soyons voluptueuses. Et ruez-vous dans des mélodies éperdues. Ronflez, cornez, crépitez, fanfarez, tambourinez ! Que de monde, mon pauvre Gwynplaine !

Il s'interrompit :

- Gwynplaine, aide-moi. Baissons le panneau.

Cependant il déploya son mouchoir.

- Mais d'abord laisse-moi mugir dans mon haillon.

Et il se moucha énergiquement, ce que doit toujours faire un engastrimythe. Son mouchoir remis dans sa poche, il retira les clavettes du jeu de poulies qui fit son grincement ordinaire. Le panneau s'abaissa.

- Gwynplaine, il est inutile d'écarter la triveline. Gardons le rideau

jusqu'à ce que la représentation commence. Nous ne serions pas chez nous. Vous, venez sur l'avant-scène toutes deux. Musique, mesdemoiselles ! Poum ! Poum ! Poum ! La chambrée est bien composée. C'est la lie du peuple. Que de populace, mon Dieu !

Les deux brehaignes, abruties d'obéissance, s'installèrent avec leurs instruments à leur place habituelle aux deux angles du panneau abaissé. Alors Ursus devint extraordinaire. Ce ne fut plus un homme, ce fut une foule. Forcé de faire la plénitude avec le vide, il appela à son secours une ventriloquie prodigieuse. Tout l'orchestre de voix humaines et bestiales qu'il avait en lui entra en branle à la fois. Il se fit légion.

Quelqu'un qui eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d'émeute. Le tourbillon de bégaiements et de clameurs qui sortait d'Ursus chantait, clabaudait, causait, toussait, crachait, éternuait, prenait du tabac, dialoguait, faisait les demandes et les réponses, tout cela à la fois. Les syllabes ébauchées rentraient les unes dans les autres. Dans cette cour où il n'y avait rien, on entendait des hommes, des femmes, des enfants. C'était la confusion claire du brouhaha. À travers ce fracas, serpentaient, comme dans une fumée, des cacophonies étranges, des gloussements d'oiseaux, des jurements de chats, des vagissements d'enfants qui tettent. On distinguait l'enrouement des ivrognes. Le mécontentement des dogues sous les pieds des gens bougonnait. Les voix venaient de loin et de près, d'en haut et d'en bas, du premier plan et du dernier. L'ensemble était une rumeur,

- le détail était un cri. Ursus cognait du poing, frappait du pied, jetait sa voix tout au fond de la cour, puis la faisait venir de dessous terre. C'était orageux et familier. Il passait du murmure au bruit, du bruit au tumulte, du tumulte à l'ouragan. Il était lui et tous. Soliloque et polyglotte. De même qu'il y a le trompe-l'oeil, il y a le trompe-l'oreille. Ce que Protée faisait pour le regard, Ursus le faisait pour l'ouïe. Rien de merveilleux comme ce fac-simile de la multitude.

Victor Hugo, L'homme qui rit, 1869

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ces menues manifestations du silence que sont les froissements des herbes, des feuilles, les invisibles cheminements d'insectes, cette confuse rumeur faite d'infimes bruissements, d'infimes palpitations : depuis des années il n'avait pas entendu (pas entendu qu'il entendait) chanter un oiseau

Claude Simon, Les Géorgiques, 1981

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En effet, Mooser, le vieux luthier, le créateur du grand instrument, aussi mystérieux, aussi triste, aussi maussade que l'homme au chien noir et aux macarons d'Hoffmann, était debout à l'autre extrémité de la galerie, et nous regardait tour à tour d'un air sombre et méfiant. Homme spécial s'il en fut, Helvétien inébranlable, il semblait ne pas goûter le moins du monde le chant simple et sublime que notre grand artiste essayait sur l'orgue. A vrai dire, celui-ci ne tirait pas tout le parti possible de la machine. Il cherchait platement les sons les plus purs et ne nous régalait pas du plus petit coup de tonnerre. Aussi l'organiste de la cathédrale, gros jeune homme à la joue vermeille, confrère familier et quasi protecteur de notre ami, le poussait doucement à chaque instant, et prenant sans façon sa place, essayait, à force de bras, de nous faire comprendre la puissance vraiment grande, je le confesse, du charlatanisme musical. II fit tant des pieds et des mains, et du coude, et du poignet, et je crois, des genoux (le tout de l'air le plus flegmatique et le plus bénévole), que nous eûmes un orage complet, pluie, vent, grêle, cris lointains, chiens en détresse, prière du voyageur, désastre dans le chalet, piaulement d'enfants épouvantés, clochette de vaches perdues, fracas de la foudre, craquement des sapins, finale, dévastation des pommes de terre.

Quant à moi, naïf paysan, artiste ou plutôt artisan grossier, enthousiasmé de ce vacarme harmonieux, et retrouvant, dans cette peinture à gros effets, les scènes rustiques de ma vie, je m'approchai du maestro fribourgeois et je m'écriai avec effusion : "Monsieur, cela est magnifique ; je vous supplie de me faire encore entendre ce coup de tonnerre, mais je crois qu'en vous asseyant brusquement sur le clavier, vous produiriez un effet plus complet encore."

G. Sand, Lettres d'un voyageur, 1836, Frlbourg