Robinsonnade 2021, nouvelle
pour le zine de Phonokainôsis
son - Stéphane Marin & Ludovic Medery
visuel - Vincent Menu
objet - Weber & Alcantu, Leipzig/Kiel
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Presse
> "Awaiting rescue that may never arrive, the protagonist mourns the loss of the ability to play music. Soon he begins to hear music in his head, a constant hum as he begins to lose his grip on reality, falling into a phantasmagoric hole", par Richard Allen, A closer listen – mai 2021
> Recension par Carole Darricarrère sur Libr-critique – 04.07.21
> "Une fin du monde parmi d’autres", Le Temps – 27.08.21
"C’est un petit livre augmenté qu’on peut commencer par n’importe quel bout. Il raconte une fin du monde, telle qu’elle pourrait être entre plusieurs scénarios possibles. L’objet se nomme Phonokainôsis, et il est constitué de textes de Stéphane Montavon, d’illustrations de Vincent Menu, et d’une musique de Stéphane Marin et Ludovic Medery – à télécharger sur la page Bandcamp du label Weber & Alcantu, qui publie le projet.
Dépouiller
La kénose, en théologie chrétienne, décrit le processus par lequel Dieu se dépouille de certains de ses attributs (par exemple la toute-puissance) pour nous signifier son amour («Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle», Jn, 3, 16). Dans l’une des deux parties du livre, Stéphane Montavon nous parle aussi d’une expérience de dépouillement, mais dont on saisit qu’il nous sera imposé par l’épuisement des ressources naturelles.
C’est un beau monologue intérieur qui commence ainsi: «Voici trois ans qu’il n’y a plus de pétrole dans l’archipel […]», et qui nous rappelle comment abruptement les choses peuvent se déglinguer: dans ce time-lapse apocalyptique, on passe par transmutations poétiques rapides d’un monde techno-jouisseur à une ambiance de lagune hypersaline sur les rives de laquelle des meules poisseuses ne peuvent plus fournir autre chose que «du gruau tant ça mouille de partout».
Cette fin du monde extrapolée a quelque chose d’une mer Morte qui aurait coulé en contrehaut sur le globe: ça brûle, ça irrite, ça lance. Il y a là tout le savoir-faire de Stéphane Montavon qui, simplement en faisant se succéder les registres et les cadences prosodiques, vous fait vivre de l’intérieur un processus de démantèlement – son texte débute comme un rapport de gardien de phare, il se termine dans la sensation d’un demi-sommeil lourd.
Eclater
L’autre partie de l'œuvre est baptisée hypo kei me non. Dans la métaphysique et chez Aristote en particulier (que ses spécialistes nous pardonnent), la notion d’hypokeimenon peut être ramenée à celle de substance, de substrat, de socle pour l’être. Mais dans ce livre-ci, le piédestal est brisé, comme le terme qui l’introduit: ces pages-là sont des tableaux de mots épars sur le papier, que chacun peut relier comme ça lui chante. On hésite entre l’image d’un sujet en miettes et celle d’un esprit pas encore coagulé – mieux: ne choisissons pas.
Les illustrations de Vincent Menu intercalées sur feuilles calques – des cercles concentriques troubles qui évoquent autant une cible qu’un œil surmené – vous giflent d’encore un peu plus de sel au fil de la lecture. Et puis il y a les sons de Marin et Medery (il faut faire l’expérience complète: lire et voir le livre en écoutant ce qui l’accompagne): c’est caverneux, ça explose par moments en lames sèches, et c’est peuplé de coups portés au loin, dont on ne sait s’ils nous proviennent de l’au-delà d'une cavité utérine ou, plus simplement, d’outre-tombe.
Le dernier mouvement de cette suite sonore s’appelle «gire cinglé». On a forcément pensé au «In girum imus nocte ecce et consumimur igni» («Nous tournoyons dans la nuit, et nous voilà consumés par le feu»), que les anciens attribuaient (faussement) à Virgile. C'est un palindrome, comme ce livre à quatre têtes et deux sens de lecture." - Philippe Simon